Encore un bon album de Bertrand qui passera sans doute inaperçu. J'ai vraiment une tendresse pour lui et sa musique (dont sa voix).
Bertrand Betsch - La traversée (2020)
extraits :
https://www.youtube.com/watch?v=FxOT4j8_r3shttps://www.youtube.com/watch?v=Pd_b7-FKJkk
et pour le fun une version confinée de son unique tube "pas de bras pas de chocolat" :
https://www.youtube.com/watch?v=6LxkSJo0P1Y
Je l'ai en "ami" FB et je vous partage ici ce qu'il a posté (je trouve que ça vaut le détour et il y a des choses qui intéresseront ceux qui parmi vous sortent des albums, jouent sur scène) :
ENTRETIEN #65 : BETRAND BETSCH | Artiste
1. COMMENT VIS-TU CE QUE NOUS TRAVERSONS ?
Concernant la crise sanitaire, je le vis plutôt bien (à part le port du masque qui embue mes lunettes et m’empêche de respirer normalement). Comme je suis plutôt un ermite, le confinement n’a eu aucun impact sur moi. Je vis confiné la plupart du temps. Et puis comme j’étais au chômage forcé, j’ai pu me consacrer entièrement à la conception de mes prochains albums. Cette période a donc été très constructive pour moi sur le plan artistique.
Ce que je vis moins bien en tant que citoyen ce sont les violences policières et la violence d’État. J’estime que nous vivons dans un État autoritaire (pour ne pas dire plus).
Actuellement je sens un frémissement de révolte et un franc rejet de Macron, de sa politique et de son gouvernement. J’ai le fol espoir que ça pète d’un peu partout. Je me prends à rêver à une convergence des luttes qui rassemblerait à la fois les écolos, les gilets jaunes, les jeunes révoltés par les violences policières, les salariés ulcérés par les agissements du MEDEF visant à mettre fin aux 35 heures et à diminuer les salaires afin de continuer d’engraisser les actionnaires des grandes entreprises, et d’une manière générale tous ceux qui veulent un monde éco-responsable, qui ont soif de changement et qui ne veulent plus du monde d’avant, c’est-à-dire un monde axé sur la finance, le néo-libéralisme à marche forcée, les énergies fossiles, les privatisations massives, l’exploitation de l’homme par l’homme, l’indifférence vis à vis des plus précaires, la centralisation du pouvoir, les inégalités salariales, les inégalités homme/femme, le non respect de l’environnement, la déforestation, la destruction des éco-systèmes, j’en passe et des meilleures…
2. QUE FAIS-TU DE TES JOURNÉES ? DE TES NUITS ?
Le jour : Je travaille ma musique tout en cherchant du boulot alimentaire pour pouvoir bouffer.
La nuit : J’essaie de trouver le sommeil. Il est parfois bien planqué. Je finis toujours par le dénicher mais il ne s’offre pas facilement. Dans l’attente de l’arrivée de cette torpeur idéale qu’est le sommeil, j’écoute de la musique.
C’est un de mes rituels : je ne peux m’endormir sans écouter de la musique. En ce moment je réécoute beaucoup Manset, mon maître absolu (période seventies-début eighties). Je consacre aussi une partie de mes nuits à concocter des playlists composées de morceaux fétiches provenant d’albums d’artistes très divers. Elles sont toutes intitulées :" Kit De Survie En Milieu Hostile" (1, 2, 3, 4, etc.). Ces playlists sont destinées à me frayer un chemin dans la nuit. Une condition à respecter : que ces chansons ne soient pas trop rock afin de favoriser l’endormissement et donc pas de possibilité d’y agréger des morceaux d’AC/DC ou du Gun Club (qui font pourtant partie de mes groupes de prédilection).
3. COMMENT TIENS-TU FINANCIÈREMENT ?
Concrètement je vis de petits boulots alimentaires. Je perçois bien sûr des revenus de la musique mais de façon trop sporadique pour en vivre. J’ai arrêté de travailler au moment du confinement. Je crame en ce moment mes dernières allocations chômage (ARE). Ce qui m’amène tout droit au RSA pour cet été. À moins que je ne trouve un boulot entre-temps.
La réforme de l’assurance chômage est l’une des raisons de la colère que j’entretiens vis à vis de ce gouvernement car elle m’impacte très concrètement et très sévèrement. Avant il fallait travailler 150 heures pour renouveler ses droits au chômage. Depuis le 1er novembre 2019, il faut désormais travailler 910 heures pour réouvrir (ou ouvrir) ses droits au chômage. Cette réforme est considérée par de nombreux observateurs comme la plus violente de l’histoire de la Vème République. C’est à peu près aussi brutal que si l’on reculait l’âge de la retraite à 70 ans.
Bizarrement on en parle peu dans les médias. Il faut dire qu’il n’y a pas de syndicats de chômeurs, et je ne parle même pas des chômeurs les plus précaires enchaînant les CDD d’usage comme c’est mon cas. Alors que s’agissant de la réforme des retraites, les salariés sont suffisamment structurés et mobilisés pour se manifester et faire pression en prenant notamment appui sur les syndicats.
Le deuxième volet de cette réforme est tout aussi violent, voire plus. Il devait entrer en vigueur le 1er avril ; il a finalement été reporté au 1er septembre.
À partir du 1er septembre le calcul de l’allocation journalière change du tout au tout. Exemple : si au cours des douze derniers mois vous n’avez travaillé que pendant six mois car vous êtes un travailleur précaire, votre allocation ne sera plus calculée sur la période travaillée mais sur toute l’année écoulée en y incluant les week-end et les jours fériés (on appelle cela l’année calendaire). Dans les faits cela va se traduire par des allocations journalières diminuées par 2, 3, 4, etc. Le calcul de l’État est le suivant : faire en sorte que les chômeurs touchent moins que le RSA et se reportent donc sur celui-ci ou sur le futur RUA (Revenu Universel d’Activité) qui fondra toutes les allocations en une seule. Du coup beaucoup de chômeurs sortiront du cadre de Pôle emploi.
Entre-temps il y a eu la crise sanitaire. La crise économique consécutive fait que le nombre de chômeurs va croitre et cela de façon exponentielle (on prévoit trois millions de chômeurs en plus en septembre). Du coup le pari de Macron (quant à l’inversion de la courbe du chômage) est raté mais il n’en demeure pas moins que les plus précaires vont devenir encore plus précaires. Beaucoup d’entre eux vont devoir retourner vivre chez leurs parents (y compris des quinquas), voire dormir dans la rue si la solidarité familiale ne joue pas.
Il est assez injuste que les intermittents du spectacle bénéficient d’une année blanche (quoique cela reste encore à l’état de promesse et l’on sait très bien que ce gouvernement n’a aucune parole) alors que les intermittents des autres secteurs (dont je fais partie) n’en bénéficient pas.
Tout ça pour dire qu’en ce moment je suis en mode très très énervé.
4. TES PROJETS SUR 2020 ONT-ILS CHANGÉ ? QUELS SONT-ILS ? COMMENT ENVISAGES-TU LA SUITE ?
Mes projets n’ont pas changé pour 2020, à savoir la sortie de mon album « La Traversée » qui est effective. L’album est très bien accueilli à la fois par la critique et par le public. Je m’en réjouis.
En revanche, je souhaiterais tourner mais je n’ai aucune visibilité sur quand cela sera possible, dans quelles conditions, dans quels types de salles…
5. COMMENT VOIS-TU L’ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE ? TON REGARD A-T-IL CHANGÉ PENDANT CETTE CRISE ?
Il est maintenant acté que tout est axé sur le streaming et le numérique en général (il y aura toujours du CD et du vinyle mais ce ne sont que de petites poches de résistance s’adressant principalement à des collectionneurs mélomanes).
Les grosses maisons de disques semblent ravies de cet état de fait - a priori elles y trouvent leur compte financièrement. Il n’en va pas de même des artistes qui ne touchent que des montants dérisoires de la part des plateformes de streaming. À titre personnel je préférerais ne rien toucher du tout que les quelques centimes qui me sont reversés car je trouve cela humiliant et dégradant.
Je ne prendrai qu’un exemple. Pierre Lapointe (chanteur québécois que j’admire beaucoup), a déclaré l’année dernière lors de L’Adisq (qui est l’équivalent des Victoires de la musique au Québec) : est-il normal que ma chanson « Je déteste ma vie » dont je suis l’auteur et le compositeur comptabilise 1 million de streams sur Spotify et que je n’ai perçu que 500 dollars de la part de Spotify ?
Lien de la vidéo :
https://ici.radio-canada.ca/…/pierre-lapointe-moments-forts…
Tout est dit.
Mon regard n’a pas changé durant cette crise. Mais l’avenir de la scène à court et moyen terme me préoccupe beaucoup. Certains n’hésitent pas à dire que la reprise des concerts tels que nous les avons connus avant la crise dépend entièrement de la mise en place d’un vaccin, donc peut-être pas avant 2022.
Je connais le programmateur d’un théâtre à Toulouse. À la lueur des conditions sanitaires qui lui ont été transmises pour la réouverture de sa salle, il apparaît qu’il est obligé de condamner une rangée sur deux et, sur les rangées non condamnées, il doit condamner un siège sur deux. Ce qui fait passer sa jauge de 250 places assises à 70 places assises.
Dans les salles où le public se tient debout, il est demandé de tracer des cercles ou des croix au sol, avec au minimum un mètre de distance entre chaque cercle ou chaque croix. Cela pose 2 problèmes majeurs. Un : il est plus que vraisemblable que les spectateurs ne vont pas rester confinés dans leur emplacement plus de 10 minutes. Deux : la plupart des salles vivent de la billetterie et du bar. Donc, limiter la jauge à 30 ou 40% de remplissage est inenvisageable pour les programmateurs et les directeurs de salles dans la mesure où ils ne peuvent, pour la plupart, rentrer dans leurs frais qu’à partir de 80% de remplissage.
Seuls les lieux subventionnés ne dépendant pas de la billetterie pourront donc ouvrir leurs portes à des concerts à la rentrée.
Nous sommes donc là face à un problème de grande ampleur qui nous laisse interdits et impuissants. Et ce ne sont pas les live Facebook rémunérés entre 10 et 70 balles par la Sacem qui vont compenser les pertes financières et le lien rompu avec le public.
6. DES FILMS, LIVRES, MUSIQUES À CONSEILLER ?
LIVRES : Le gai savoir de Nietzsche, Passages de Pascal Bouaziz, Le mal des fantômes et La conscience malheureuse de Benjamin Fondane, Comme un château défait de Lionel Ray, Choix de poèmes de Paul Celan, L’innommable, Mercier et Camier et Cap au pire de Samuel Beckett, Histoire de l’oeil de Georges Bataille, Autoportrait d’Édouard Levé, Rester vivant de Michel Houellebecq, Le livre des ressemblances d’Edmond Jabès, Les premiers mots de Bernard Noël, La folie du jour et Thomas l’obscur de Maurice Blanchot, Le mur et La nausée de Jean-Paul Sartre, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagermann, Je suis cela de Daniel Franco, Il ne se passe rien mais je m’ennuie de Heptanes Fraxion, Poteaux d’angle de Henri Michaux, Ève de Charles Péguy, Le livre de l’intranquillité et Bureau de tabac de Fernando Pessoa, Les ronces de Cécile Coulon, etc.
MUSIQUES : tous les disques de Manset jusqu’à Obok, tout Leonard Cohen, la série des American Recordings de Johnny Cash, Closer de Joy Division, Pain Noir de Pain-Noir, Casino, IV et Vertigone d’ Arman Méliès, À peu près et Les failles de Pomme, Power, lies and corruption de New Order, Music for the masses et Black celebration de Depeche Mode, La mémoire neuve de Dominique A, Pigalle de Flip Grater, Next year in Zion et Not on top de Herman Dune, Play me again de Kid Francescoli, Jeopardy et From the Lions Mouth de The Sound, The Sky's Gone Out de Bauhaus, Bluffer's Guide to the Flight Deck de Flotation Toy Warning, Où veux-tu qu'je r'garde ? de Noir Désir, Gargilesse, Rio Baril et Courchevel de Florent Marchet, Paris Tristesse de Pierre Lapointe, Grand turn over de Foray, II de David LAFORE, L’autre bout du monde d’ Emily Loizeau, Hotel de l’univers de Raphael, Des espoirs de singe de 3 minutes sur mer, Les animals de Hildebrandt, etc.
FILMS : Jeanne Dielman et La Folie Almayer de Chantal Akerman, La maman et la putain, Une sale Histoire et Les photos d’Alix de Jean Eustache, Euréka de Shinji Aoyama, Mauvais sang de Leos Carax, Le grand bleu de Luc Besson, Paris Texas de Wim Wenders, In the mood for love de Wong Kar-Wai, Iguana de Monte Hellman, Hors Satan de Bruno Dumont, De rouille et d’os, Dheepan et Sur mes lèvres de Jacques Audiard, Documenteur et Le bonheur d’Agnès Varda, Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni, J’ai tué ma mère et Mommy de Xavier Dolan, Mal de pierres de Nicole Garcia, Les apprentis de Pierre Salvadori, J’ai horreur de l’amour de Laurence Feirrera Barbosa, Je ne sais pas si c’est tout le monde de @Vincent Delerm, Stalker d’Andreï Tarkovski, Alphaville, Prénom Carmen, Sauve qui peut (la vie) et The old place de Jean-Luc Godard, Muriel d’Alain Resnais, Van Gogh de Maurice Pialat, High life de Claire Denis, Orphée de Jean Cocteau, etc.
7. LES11 QUESTIONS QUI TUENT :
- SI TU ÉTAIS UN LIEU ? L’horizon. Je serai donc un non-lieu.
- SI TU ÉTAIS UN OBJET ? Un cahier Clairefontaine. (J’ai la manie de remplir sans arrêt des cahiers pour y noter tout et n’importe quoi : des listes de courses, des to do list, des citations, des paroles de chanson, des notes, toutes sortes d’infos, des adresses, des coordonnées, etc.)
- SI TU ÉTAIS UN EXCÈS ? L’ivresse.
- SI TU ÉTAIS UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE ? Une défaite, une bataille perdue, n’importe laquelle.
- SI TU ÉTAIS UN MOMENT DE LA JOURNÉE ? L’heure de la sieste (c’est-à-dire à peu près n’importe quand en ce qui me concerne).
- SI TU ÉTAIS UN MÉDICAMENT ? Le Rivotril (la Rolls-Royce des benzo).
- SI TU ÉTAIS DIEU ? Je ferais l’impasse sur l’humanité.
- SI TU ÉTAIS UNE PERSONNE DU SEXE OPPOSÉ ? Claire Pommet.
- SI ON TE PROPOSAIT LE POSTE DE MINISTRE DE LA CULTURE ? Je refuserais. Je suis du côté de l’art, c’est-à-dire du côté de la création. Je ne suis pas du côté de la culture, c’est-à-dire les institutions, le commerce de l’art, les marchands, la plus value, le patrimoine, les alibis, les dorures, la compromission, le politique, l’entrisme, les réseaux, etc.
- SI TU AVAIS LA POSSIBILITÉ DE FAIRE TOUT CE QUE VOUS VOULEZ PENDANT 48 HEURES EN TOUTE IMPUNITÉ ? Je mettrais le feu à L’Élysée.
- SI TU ÉTAIS UN DERNIER MOT AVANT DE MOURIR ? Eteignez la lumière, bordel !!!!